Edith Margaret Garrud (1872–1971) est l'une des premières femmes professeur d'arts martiaux en Europe. Elle est connue pour avoir entraîné une unité de gardes-du-corps pour la Women's Social and Political Union aux techniques de jujitsu1, afin de pouvoir répondre aux attaques physiques dont elles étaient l'objet de la part de certains hommes anti-féministes2.

 Edith Margaret Garrud, la suffragette bodyguard qui faisait du jiu-jitsu
Edith Margaret Garrud (1872-1971), née Williams, a été la première formatrice d’autodéfense féministe en Europe, et probablement dans le monde.
Après son enfance à Bath puis en Pays de Galles, Edith Garrud suit une formation de professeure d’éducation physique pour filles. À 21 ans, elle se marie avec William Garrud, un autre prof de sport avec qui elle emménage à Londres. En 1899, les Garrud découvrent le Bartitsu, un mélange de divers arts martiaux asiatiques – qui étaient à ce moment-là peu connus en Europe – créé par Edward William Barton Wright. Sherlock Holmes le pratiquera dans les livres de Sir Arthur Conan Doyle.

 

La formation par Barton Wright est complétée par des leçons chez Sadakazu Uyenishi. En 1907, Edith Garrud jouera le rôle principal dans le film Ju-jutsu Downs the Footpads. Quand Uyenishi retourne au Japon un an plus tard, les Garrud reprennent son école d’arts martiaux, et Edith prend en charge les classes pour femmes et pour enfants. Elle organise également des cours d’autodéfense pour les suffragettes de la Women’s Social and Political Union (W.S.P.U.) et de la Women’s Freedom League. Pour rendre l’autodéfense pour les femmes plus connue, elle crée en 1911 la pièce de théâtre What Every Woman Ought to Know (« Ce que chaque femme devrait savoir » ; la pièce comique met en scène le moyen de se défendre contre la violence conjugale) et publie des articles dans des journaux :
Trois scènes de la pièce « What Every Woman Ought to Know »
Quand les suffragettes anglaises, entrent vers 1910 dans la confrontation avec les forces de l’ordre (bris des vitres, incendies, bombes...) en veillant toujours à ce que personne ne soit blessé et que des ouvriers/ères ne perdent pas leur travail. S'en suivent les arrestations brutales et l’alimentation forcée par tubes des prisonnières en grève de la faim. A partir de 1913, la loi « du chat et de la souris » donne à la police le droit de relâcher une suffragette emprisonnée si elle est trop affaiblie par la grève de la faim pour qu’elle ne meure pas en prison, et au cas où elle s’en remet, de la ré-emprisonner aussitôt. Des meneuses comme les trois Pankhurst risquaient non seulement des conséquences graves pour leur santé, mais n’avaient plus le droit de militer.
Mais la police n’avait pas compté avec Edith Garrud. La W.S.P.U. monte le Bodyguard, un groupe de 39 femmes formées par Edith Garrud et menées par Gertrude Harding. Leur mission : protéger les leaders des suffragettes de l’arrestation, si nécessaire par la force physique. Dans des lieux secrets, elles apprennent le jiu-jitsu, mais aussi la défense avec des massues de gymnastique, techniques qu’elles mettent en pratique dans de nombreux combats corps-à-corps avec la police. Une des bodyguards découvre par exemple qu’on peut faire tomber un policier à cheval si on frappe l’arrière du genou de l’animal avec une massue. Cette technique ne fait pas mal au cheval, mais le force à « s’asseoir », au grand dam du cavalier surpris. Une autre technique de combat préférée est de tirer sur les bretelles élastiques d’un policer pour arracher les boutons de son pantalon – les mains occupées à tenir son pantalon en place, il peut difficilement courir après les suffragettes... Les médias, déjà très critiques envers les suffragettes en général, essaient de les ridiculiser par des caricatures.
Caricature de Punch
La confrontation physique n’est pas la seule à porter ses fruits : la ruse est également utilisée avec succès. Le Bodyguard sécurise les bâtiments où vont avoir lieu des manifestations suffragistes pour planifier des routes de fuite. Elles forment souvent des barrières humaines pour empêcher les policiers d’arriver jusqu’à la suffragette qu’ils veulent arrêter. A plusieurs reprises, les stratégies inventives du Bodyguard surprennent la police. Par exemple le 10 février 1914, Emmeline Pankhurst doit s’adresser à la foule sur Campden Hill Square. A l’heure prévue, la place est remplie de gens – et de policiers. E. Pankhurst apparaît sur le balcon d’une maison privée, hors de portée des policiers ! Evidemment, quand elle sort de la maison, la police se jette sur elle, le Bodyguard la protégea au mieux et dans la mêlée, les policiers ne se rendent compte qu’à la prison qu’ils ont attrapé une autre femme, vêtue et voilée tout comme Madame Pankhurst. La vraie Emmeline Pankhurst a eu le temps de disparaître.

 

 

Cette ruse fut employée plusieurs fois dans les semaines qui suivirent, et quand la police eut finalement compris le truc, elle eut droit à une nouvelle surprise. Une suffragette connue s’étant réfugiée dans une maison privée, toutes les sorties étaient bloquées. La police s’apprêta alors à arrêter la femme dès qu’elle sortirait – mais quand la porte s’ouvrit, une douzaine de femmes en vêtements identiques couraient dans tous les sens et la police ne sut pas qui poursuivre. Emmeline Pankhurst écrivit en remerciement à ses gardiennes : « En ce qui concerne nos femmes combattantes, elles sont en pleine forme et très fières de leurs exploits, comme vous pouvez vous imaginer. La fille avec la déchirure à la tête n’a pas voulu de sutures car elle voulait garder une cicatrice la plus grande possible. Le vrai esprit de guerrière ! »
Edith Garrud faisant une démonstration de jiu-jitsu avec un acteur habillé en policier
Edith Garrud n’était évidemment pas non plus à l’abri du harcèlement policier. Pourtant, en tant que formatrice des Bodyguards, elle ne pouvait pas prendre trop de risques, car elles avaient besoin d’elle en liberté, pas en prison. Pour soutenir la cause, elle escalada plusieurs fois le mur de la prison de Holloway où de nombreuses suffragettes étaient enfermées. Sur le mur, elle chanta des chansons et agita le drapeau mauve-blanc-vert des suffragettes. Dans une des nombreuses manifestations, elle plaque un policier par terre qui veut l’arrêter, avant de disparaître dans la foule. Et dans son dojo, elle aménage des cachettes sous les tatamis pour faire disparaître des objets incriminants lors de fouilles. Tant qu’il y avait des élèves qui faisaient leur entraînement sur les tatamis, la police n’y voyait que du feu...
Au début de la Première Guerre mondiale, la W.S.P.U. dissolva le Bodyguard, car les suffragettes voulaient soutenir les efforts de guerre pour montrer qu’elles méritaient le droit de vote. Mais Edith Garrud continua à enseigner l’autodéfense et le jiu jitsu jusqu’en 1925, quand elle et son mari vendirent l’école d’arts martiaux et se retirèrent de la vie publique. Nous revoyons Edith Garrud en 1965, quand un magazine féminin national l’interviewe à l’occasion de son 94e anniversaire. C’est une gentille petite dame qui répond aux questions un peu infantilisantes du journaliste – pour après le prendre dans une clé dont il se souviendra un bon moment...

 

 

 

Histoire

 

Histoire

Contexte historique

Avant la 1 er guerre mondiale, les femmes étaient traitées comme intellectuellement inférieures, voire ne pouvant pas penser par elles-mêmes, ne pouvant donc prétendre aux mêmes droits que les hommes. Les affaires politiques étaient hors de leur portée et il n'était donc pas question que les femmes puissent voter.

Au cours du 19 siècle, quelques lentes avancées dans les droits de femmes avaient été gagnées : le droit des femmes mariées de disposer de leurs biens propres, le droit de vote dans certaines élections mineures, le droit de faire partie du conseil d'administration d'une école.

Suffragettes et jujitsu

A l’aube du XXe siècle, le combat des suffragettes britanniques pour l’égalité civique coïncida avec l’introduction des arts martiaux japonais en Europe. L’histoire dépassant souvent la fiction, cette concomitance permit de bousculer — au sens propre — l’état patriarcal.

Le combat des suffragettes, et surtout leur utilisation du jujitsu (ou plutôt du bartitsu, un mélange de jujitsu, de savate, de boxe anglaise et de lutte), a déjà été évoqué sur ce forum. Le rôle d'Edith Garrud (1872-1971) dans la formation des suffragettes aux techniques d'autodéfense y est souligné. Sous sa férule naîtra ainsi le Bodyguard, dirigé par la Canadienne Getrude Harding et chargé de protéger les manifestantes contre la répression sauvage des forces de l'ordre. La presse les surnommera bien vite "amazones" ou "suffrajitsu". Le Bodyguard sera dissout pour contribuer à l'effort national au début de la Première guerre mondiale. Le droit de vote sera obtenu en 1918.

 

LE FILM

Réalisé par Sarah Gavron sur un scénario d’Abi Morgan, le long-métrage britannique Les Suffragettes est sorti en novembre 2015. Bien qu’il ait le mérite d’exister et qu’il soit fort convenablement interprété, il a de quoi décevoir les tenants d’un usage du cinéma aussi dynamique que le sujet qu’il sert. A travers la politisation d’une jeune ouvrière, le film passe en revue quelques-unes des actions marquantes menées aux alentours de 1913 par les militantes en faveur du droit de vote des femmes. Hélas, le mélange des genres cinématographiques semblant décidément tabou, la retenue larmoyante du « drame social » l’emporte sur la réelle exubérance des faits historiques, qui ne déparerait guère dans un film d’action.

Car, pour conquérir leurs droits, ces aïeules du Mouvement de libération des femmes (MLF) des années 1970 ont su taper aux bons endroits. Ce qui leur a permis non seulement d’arracher en 1918 le droit de vote pour huit millions d’Anglaises de plus de 30 ans (puis, en 1928, pour toutes les majeures), mais également de redéfinir le rapport des femmes à la violence politique et domestique. De quoi rêver d’une nouvelle adaptation au cinéma, avec Gina Carano et Ronda Rousey — actrices et championnes d’arts martiaux mixtes (mixed martial arts, MMA), un sport de combat où l’on utilise les pieds, les poings et les ressources de la lutte — en suffragettes réellement de choc…

Rappelons quelques faits. En 1903, Emmeline Pankhurst (1858-1928), lasse des atermoiements non violents des organisations suffragistes, crée la Women’s Social and Political Union (WSPU) avec deux de ses filles, Christabel (1880-1958) et Sylvia (1882-1960). En crachant sur un policier, la première inaugure dès 1905 la série d’arrestations arbitraires qui viseront la famille Pankhurst et les militantes de la WSPU. L’Union fait rapidement parler d’elle, Emmeline Pankhurst prônant dès 1910 l’action directe afin d’attirer l’attention, à la suite notamment du « Black Friday », une manifestation féministe réprimée.

En 1832 en Grande-Bretagne est lancée la première pétition féministe présentée au Parlement en 1851 demandant le droit de vote des femmes3,4,5.

En 1876 en France, Hubertine Auclert fonde la société Le droit des femmes qui soutient le droit de vote pour les femmes et qui devient en 1883 Le suffrage des femmes.

Au Royaume-Uni, en 1897, Millicent Fawcett fonda l'Union nationale pour le suffrage féminin (National Union of Women's Suffrage) pour obtenir le droit de vote pour les femmes. Espérant y parvenir par des moyens pacifiques, Fawcett donna des arguments pour convaincre les hommes, seuls à avoir le pouvoir de donner le droit de vote aux femmes. Elle mit en évidence par exemple que les femmes devaient obéir aux lois et donc devraient avoir le droit de participer à leur création.

En 1903, Emmeline Pankhurst fonda l'Union sociale et politique féminine (Women's Social and Political Union, WSPU) et avec ses trois filles Christabel, Sylvia et Adela ainsi qu'un groupe de femmes britanniques rapidement nommées suffragettes, commença une bataille plus violente pour obtenir l'égalité entre hommes et femmes.

En 1905, Christabel et Annie Kenney furent arrêtées pour avoir crié des slogans en faveur du vote féminin lors d'une réunion politique du Parti Libéral. Elles choisirent l'incarcération plutôt que de payer l'amende. Ce fut le début d'une suite d'arrestations suscitant la sympathie du public pour les suffragettes. Celles-ci se mirent à brûler des institutions symboles de la suprématie masculine qu'elles combattaient, tels qu'une église ou un terrain de golf réservé aux hommes6.

Des grèves de la faim suivirent dans les prisons. La police tenta de les obliger à manger et le gouvernement répondit, sans succès, avec la loi dite « Chat et Souris » (Cat and Mouse Act, officiellement The Prisoners (Temporary Discharge for Ill Health) Act 1913) : lorsqu'une gréviste de la faim devenait trop faible, elle était relâchée, puis réincarcérée une fois sa vie hors de danger.

Les suffragettes eurent ce qu'elles considérèrent comme leur première martyre en 1913 quand Emily Davison fut tuée en tentant d'accrocher une écharpe, en signe de protestation, autour du cou du cheval du roi George V, qui participait à un derby7.

La Première Guerre mondiale eut pour conséquence une importante pénurie de main-d'œuvre masculine liée à la mobilisation et amena les femmes à occuper des emplois traditionnellement masculins. Cela provoqua une remise en question des capacités des femmes au travail. La guerre causa une rupture au sein du mouvement des suffragettes. D'une part, le courant dominant représenté par le WSPU d'Emmeline et Christabel Pankhurst appela à un « cessez-le-feu » dans leur campagne tant que durait la guerre et d'autre part des suffragettes plus radicales, représentées par le Women's Suffrage Federation de Sylvia Pankhurst, proche des marxistes, appelèrent à la poursuite des hostilités. Le courant majoritaire participa avec enthousiasme aux campagnes de recrutement pour l'armée, et mena une campagne de distribution de fleurs, symboles de couardise, dans la rue, à des hommes en âge de se battre qui ne s'étaient pas engagés.

En 1918, le Parlement du Royaume-Uni vota une loi (the Representation of the People Act 1918) accordant le droit de vote aux femmes de plus de 30 ans propriétaires terriennes ou locataires - ou dont le conjoint l'est - ayant un loyer annuel supérieur à 5 £, ainsi que les diplômées d'universités britanniques. Elles obtinrent en 1928 leur statut d'électrice selon les mêmes termes que les hommes.

Le Royaume-Uni fut le huitième pays à avoir donné le droit de vote aux femmes. Le premier fut la Nouvelle-Zélande (1893), grâce à une pionnière mondiale, Kate Sheppard, née Catherine Malcolm (Liverpool, Angleterre 1847 Christchurch, Nouvelle-Zélande 1934). Ce fut ensuite au tour de l'Australie (1902) et de la Finlande (1906). Les États-Unis, sur le plan fédéral, l'adoptent en 1919. En France, les femmes n'eurent ce droit qu'en 1944, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

les suffragettes ont parfois eu recours à des méthodes assimilées par certains historiens à du terrorisme. Si certains réfutent ce terme et lui préfèrent le qualificatif de "vandalisme", arguant du fait que les propriétés et bâtiments que des suffragettes ont détruits ou incendiés étaient vides (il y en eu 250 sur une période de 6 mois en 1913 8), l'historien Simon Webb rappelle que Mary Leigh et d'autres suffragettes ont mis le feu à un théâtre, avant d'y faire exploser une bombe, alors que des gens étaient à l'intérieur. Elles ne furent cependant pas accusées de terrorisme car ce crime n'existait pas à l'époque, et furent poursuivies pour avoir "causé une explosion de nature à mettre en danger la vie d'autrui"9. Les suffragettes placèrent une série de bombes (la plupart explosant avec succès, certaines parfois défectueuses) au travers du Royaume-Uni, notamment dans l' Abbaye de Westminster, la cathédrale de St Paul, la banque d'Angleterre, la National Gallery, des gares ou encore au domicile du chancelier David Loyd Georges. Cette dernière fut placée par la militante Emily Davison10,11. La bombe ayant soufflé les vitraux de la cathédrale de Lisburn en 1914, attribuée aux suffragettes, représente à la fois la première explosion de bombe du XXe siècle en Irlande, précédent celles déclenchées par l'IRA12, et la dernière bombe posée par les suffragettes: elle explosa le jour de l'entrée en guerre du Royaume-Uni, et les suffragettes stoppèrent leurs activités et s'impliquèrent dans l'effort de guerre13.

L'historienne Fern Riddell découvrit qu'en plus des bombes, les suffragettes envoyèrent des courriers piégés (méthode dont elles sont les inventrices selon Simon Webb) contenant des flacons de phosphore qui se brisaient lorsqu'ils étaient manipulés, occasionnant de sévères brûlures chez les postiers. Riddell affirme qu'en 1913, les suffragettes étaient un « groupe terroriste très organisé », et selon elle « il ne fait aucun doute que tout ceci a toutes les caractéristiques de ce qu'on définirait aujourd'hui comme du terrorisme ». Elle cite aussi les propos de la police et des suffragettes, employant tous deux l'expression de "Règne de Terreur" pour qualifier la campagne menée par les suffragettes, ou les journaux de l'époque titrant sur le "Terrorisme Suffragette". Pour Riddell, certains détails indiqueraient qu'au cours des dernières années, il y eu une tentative coordonnée des suffragettes pour effacer leurs actions les plus violentes des mémoires publiés14.