Hobbes, c’est l’histoire d’un anglais qui vivait au XVIIe siècle et qui avait une moustache. Et comme les barbiers n’étaient pas autant à la mode qu’aujourd’hui, Hobbes s’est tourné vers la philosophie, plus précisément, vers la philosophie politique.

À l’époque, il n’était pas trop trop bien vu — non pas à cause de sa moustache, mais parce que sa philosophie a fait scandale. Pourquoi ? En grande partie parce qu’il refuse la théorie en vogue au XVIIe : celle de l’autorité de droit divin, selon laquelle tout pouvoir viendrait de Dieu.

Hobbes pense au contraire que ce sont les Hommes qui créent leur société, leur politique, et que Dieu n’a rien à voir là-dedans. Et ça… Ça n’a pas trop plu à l’Église.

Et s’il pense cela, c’est parce qu’avant de se lancer dans la philosophie politique, Hobbes s’est d’abord intéressé aux Hommes. Il a étudié rigoureusement la nature humaine, pour mieux comprendre comment fonctionne notre société. Il s’est demandé comment sont les hommes au plus profond d’eux-mêmes ? Comment vivent-ils en société ? Pourquoi font-ils la guerre ? etc.

Il a réfléchi, il a réfléchi…
Et puis un jour Hobbes a dit “L’homme est un loup pour l’homme” ; et tout s’est éclairé…

Qu’est-ce qu’il découvre pour dire un truc pareil ? 

En s’intéressant en profondeur à l’anthropologie (= étude des êtres humains), Hobbes réalise deux trucs qu’il écrit dans son célèbre ouvrage, Léviathan :

1- On désire tous les mêmes choses

Il montre que les Hommes désirent souvent les mêmes choses, et c’est principalement parce qu’ils désirent les mêmes choses qu’ils deviennent ennemis. L’autre (= celui qui n’est pas toi, ton voisin, un inconnu dans la rue) est alors perçu comme un adversaire, un concurrent qu’il faut détruire pour pouvoir obtenir sans crainte ce que nous voulons.

C’est triste, mais c’est un peu vrai. Avouez, on veut tous le nouvel iPhone ou la nouvelle paire de Nike, ou 1 million d’euros sur notre compte en banque. Ou les trois à la fois. Et, on serait tous prêt à abattre la personne qui s’amuse à draguer la même cible que nous.

Bref, l’autre devient mon ennemi à partir du moment où il veut la même chose que moi, et qu’il se met potentiellement sur ma route. C’est un fait.

2- Pourquoi on se fait la guerre ?

Suite à ce constat pas très flatteur, Hobbes continue de creuser et cherche à savoir qu’est-ce qui, au fond de nous, nous pousse à rentrer en conflit avec les autres. Alors il prend l’exemple des guerres et il identifie les principales raisons pour lesquelles les Hommes se font la guerre :

  • La défiance : on ne fait pas confiance aux autres, alors pour assurer notre sécurité et éradiquer l’autre à tout jamais, eh bien on provoque des guerres.
  • La compétition : on est tous à la recherche du profit, et c’est quand même plus facile de déclencher une guerre pour voler aux autres ce que l’on n’a pas (ouais trop la flemme de travailler).
  • La gloire : puisque l’on est esclave de notre égo, on cherche tous à se créer une réputation, à inspirer le respect, la méfiance… Et pour cela, rien de mieux qu’une petite guerre et du sang partout, pour montrer qui c’est le plus fort.

Ouais, bilan pas très glamour, je vous l’accorde. Mais Hobbes ne s’arrête pas là. Il imagine qu’avant de se soumettre à l’autorité d’un pouvoir politique, les hommes vivaient tous en état de guerre. Calmez-vous, tout cela n’est que le fruit de son imagination, on parle alors d’expérience de pensée. Il suppose que les hommes vivaient comme des animaux pas trop disciplinés qui, pour sauver leur peau, devaient sans cesse se battre.

Cet état de guerre, Hobbes l’appelle l’État de nature.

Donc dans l’État de nature, tout le monde a le droit de buter tout le monde ? 

Oui c’est un peu ça. Dans l’État de nature, c’est la loi du plus fort. Ceux qui ont les plus gros muscles et les plus gros cerveaux survivent, les autres… Je ne vous fais pas un dessin.

Dans cet État de nature, Hobbes imagine “la guerre de tous contre tous”, car aucune puissance commune ne maintient l’ordre entre les hommes. En plus de cela, la société ne se développe pas — personne ne construit d’école ou ne s’occupe d’un potager, car la propriété n’est jamais garantie, et puis tout le monde craint un peu pour sa peau. L’homme ne fait que suivre ses penchants naturels, et se prend pour le roi de la jungle. Bref, c’est le gros bordel.

Alors, vous vous en doutez, les conséquences de l’État de nature sont désastreuses : les notions de bien, de mal, de justice et d’injustice n’existent plus car il n’y a pas de puissance commune, c’est-à-dire, d’autorité politique à laquelle les hommes se soumettent. Et qui dit pas de pouvoir politique dit pas de lois, donc rien ni personne ne peut déterminer ce qui est juste ou non. Rien n’est fait pour civiliser les hommes, alors c’est pas étonnant qu’ils se comportent comme des gros sauvages.

C’est donc en évoquant cet État de nature qu’Hobbes déclare : “l’homme est un loup pour l’homme”.

Bon, ne faites pas de cauchemars pour autant, je vous rappelle que cet État de nature n’est pas réel, c’est juste une expérience de pensée qu’Hobbes a fait. Tout ce qui est décrit plus haut, c’est juste ce qu’il a imaginé dans sa petite tête.

Et si ça peut vous rassurer, Hobbes a même trouvé une solution pour éviter que l’on sombre dans le chaos : un contrat. Oui, un contrat.

Un contrat avec qui et pour faire quoi ?

Puisque cet État de nature est menaçant pour tous les Hommes, il faut un pouvoir souverain pour assurer la sécurité de tous.

Pour mettre en place ce pouvoir souverain de manière légitime, Hobbes imagine alors un contrat. Et ce contrat est simple : chaque homme doit renoncer à ses droits naturels (en gros arrêter de se comporter comme un animal) pour les transmettre à un pouvoir commun, qui garantira paix et sécurité.

Ça a l’air contraignant comme ça, mais c’est la seule solution possible pour éviter l’anarchie. Alors, tous les hommes ont accepté. Tous ont renoncé à un bout de leur liberté pour y gagner en sécurité et avoir une vie plus paisible.

Et tout leur pouvoir est allé dans les mains d’un monstre. Oui, un monstre. Mais un monstre qui veut du bien au peuple : le Léviathan, une créature biblique à laquelle tous les hommes sont soumis.

Le Léviathan, c’est quoi ce truc ?

À l’origine, le Léviathan vient de la mythologie grecque mais il apparaît aussi dans la Bible (Livre de Job et Livre d’Isaïe). Il s’agit d’un monstre marin, moitié dragon, moitié serpent. Méga flippant. On disait même que réveiller un Léviathan reviendrait à détruire l’ordre du monde.

Hobbes se sert donc de l’image du Léviathan pour représenter l’État et le symbole du pouvoir absolu.

Car oui, le Léviathan a tous les pouvoirs. Preuves en image : l’épée dans sa main gauche symbolise le pouvoir politique et la crosse ecclésiastique dans son autre main, le pouvoir religieux. Son corps est constitué d’hommes car, en acceptant le contrat, le peuple lui a donné tout son pouvoir. L’union des hommes envers une autorité commune, c’est aussi ce qui fait la toute puissance du Léviathan.

Mais n’ayez crainte, si le Léviathan dispose de tous les pouvoirs, les hommes restent protégés par les lois qui rendent impossible tout abus de pouvoir de la part de l’État.

Pour finir… 

Ce qui a fait la gloire de Hobbes c’est la manière dont il a théorisé le pouvoir politique. Pour lui la souveraineté du pouvoir ne doit pas être divisée car sinon elle s’affaiblit. Il faut au contraire qu’une seule figure d’autorité, un pouvoir vraiment autoritaire à laquelle tout le monde est soumis, sinon on se transforme tous en loup et là, ça devient le bordel.

Alors pour éradiquer le loup qui est en nous, rien de mieux que d’être gouverné par un monstre super puissant et super moche — et qui, comme par hasard, a une moustache.