BI : La première question qui me vient à l’esprit est : pourquoi gardez-vous le silence… et pourquoi le rompez-vous parfois.
Maitre Henry Plee HP : Tout le monde le sait, au moins intuitivement, le silence est la seule bonne façon de faire les choses qui comptent. On se tait pour bien apprendre, pour bien travailler, et par pudeur. Car progresser et évoluer, c’est en définitive une aventure personnelle dans notre ‘jardin secret ». Parler à ce stade prouve une immaturité manifeste. Récemment j’ai lu une interview d’un ancien Directeur de la C.I.A. américaine, un administratif, qui disait que tous les « espions » étaient des perturbés mentaux immatures, qui ratent leur vie privée et auraient tout raté s’ils n’avaient pas trouvé cette façon de gagner leur vie. Sans qu’il soit nécessaire de nommer personne, tu as dû remarquer que ceux qui parlent ou écrivent le plus sont relativement médiocres, tant en Art Martial que dans la vie, et toujours dénigrent la compétition ou le combat réel… ou le terrain. Parce qu’ils n’ont jamais remporté le moindre combat dans un « moment de Vérité »… comme dirait « Karaté Kid »
BI : Je vois que nous retrouvons le franc-parler de Maître Plée…
HP : Je sais que beaucoup de pratiquants aiment que l’on dise pour eux des vérités qu’ils n’osent pas exprimer. Ce n’est pas qu’ils n’osent pas, ils ne peuvent pas. Moi, mon grand âge – que je ne ressens pas – mes grades et ma réussite, font que je n’ai a ménager personne et que je peux me permettre d’être honnête. Quand on commence a »avoir évolué », ce qui d’ailleurs peut n’être qu’un sentiment parfaitement subjectif, on est saisi par la difficulté d’en rendre compte, voire l’inutilité de parler de son parcours.
BI : Oui, ce sera ma seconde question, qu’est-ce qui, dans votre parcours, peut être un enseignement pour les jeunes pratiquants?
HP : Les jeunes seulement ? Ce n’est pas gentil pour les moins jeunes, tu les considères comme des cas sans espoir ? Revenons au parcours. Chacun a ou aura plus ou moins le sien, comme chacun a ou aura plus ou moins son propre style dans l’Art Martial de son choix, puisque s’identifier totalement à un Maître est la preuve d’un manque de créativité. Faire des copies parfaites de la Joconde du Maître Léonard de Vinci n’est pas une preuve de talent, tous les appareils de photo le font, et mieux. Il y a de nombreuses « Histoires de Sagesse », que j’adore, tournant autour de cela. Tu en connais certainement. Leur intérêt, par rapport aux Fables, avec morale finale, est qu’elles sont drôles et touchent en profondeur des domaines autres que celui de l’intellect. Précisément le domaine que cherchent à toucher tous les vrais Arts Martiaux. Et chacun sait que l’intellect, la raison, la machine à penser, est le pire obstacle à l’efficacité, tant en défense qu’en « attaque-légitime-défense ». Tous les instructeurs, à tous les niveaux, éprouvent le dilemme de parler « pour partager » leur émerveillement ou de se taire sur leurs découvertes tant qu’elle n’ont pas été maîtrisées. En outre il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas dire pour laisser une chance aux gens de les découvrir tout seul, et ainsi de pouvoir réellement les appliquer.
BI : Vous pensez que l’on ne peut réellement appliquer une technique que si on l’a redécouverte soi-même?
HP: Voilà une bonne question. Mais expliquer pourquoi demanderait plusieurs revues. Je vais essayer d’être bref. Cela va paraître scientifique mais il faut y passer. Tout peut changer dans votre compréhension des Arts Martiaux si vous comprenez que l’on n’a pas ‘un » cerveau, comme tout le monde le pense, mais trois cerveaux, ou si vous préférez un cerveau « triunique ». Ils viennent des aléas de notre parcours évolutif depuis l’apparition de la vie animale en mer puis sur terre, il y a 400 millions d’années.
BI : Quels sont ces trois cerveaux et leur intérêt sur le plan martial?
HP : Le premier apparu et qui existe encore dans notre crâne est le cerveau reptilien, et si tu réfères un nom scientifique : le paleo-cortex. Il a en charge notre survie, ne « parle » pas, et bien que petit il contient les « glandes » les plus vitales : hippocampe, amygdale, septum etc… Lorsque 1′on est attaqué avec menace de mort nous fonctionnons uniquement sur ce cerveau reptilien. Il concerne donc les Arts Martiaux de combat à mort, guerriers, Si je peux me permettre ce plée-onasme. Le second cerveau est le « mammifère », qui est au-dessus et autour du reptilien, scientifiquement c’est le cortex, ou cerveau « émotif » parce que s’y trouvent les émotions, la peur, et les Rituels animaux, qui comprennent les affrontements destinés à sélectionner les meilleurs reproducteurs. Lui aussi est silencieux. Les Arts Martiaux sportifs, conventionnels, en dépendent. Le troisième cerveau, le plus gros mais dont on n’emploie que 5 à 10% est le « cerveau moderne », neo-cortex dit aussi « supérieur » par suite de sa position et de ses possibilités, il parle, il lit, il raisonne, il est conscient et cela fait aussi de lui le roi des conneries, à cause de l’ego. Au point de vue vitesse d’exécution le plus rapide est le reptilien, le mammifère est trois fois plus lent et le supérieur est dix fois plus lent que le mammifère, c’est à dire trente fois plus lent que le cerveau de survie, le reptilien. Tu comprends mieux, je pense, pourquoi l’enseignement martial de base est « le vide mental » ou le « non mental », ce qui permet au reptilien et éventuellement au mammifère de s’exprimer sans être ralentis par le cerveau « intelligent ».
BI : Je vois mieux l’intérêt de la connaissance de ces trois cerveaux sur le plan martial, mais si l’on s’arrête à la notion traditionnelle du « vide mental » en combat et de « silence » au Dojo, cela peut suffire.
HP: Tu n’as pas vraiment tort mais en sachant très bien comment ils fonctionnent on peut éviter des erreurs pédagogiques. IJ n’y a pas de professeur à 1 ‘École ou au Dojo qui ne pense pas enseigner son art avec une pédagogie tout à fait intelligente. L’ennui c’est que c’est rarement le cas et surtout au Dojo. Mais, même avec un enseignement anti-pédagogique sur le plan martial, on peut arriver à se préserver Si l’on sait comment les choses se font dans notre tête.
BI: C’est-à-dire?
HP : J’ai dit que les cerveaux reptilien et mammifère étaient silencieux et le supérieur parlait, donc raisonnait. En pratique tout « monte » du cerveau reptilien vers le mammifère puis le supérieur, ou du mammifère au supérieur, et jamais, je dis bien jamais, du supérieur vers le mammifère et le reptilien. Par exemple, si on vous insulte, si on vous humilie ou si on vous menace, c’est votre reptilien qui le reçoit comme une agression et sa réaction est toujours de fuir ou de tuer. D’ailleurs on dit ‘le vais le tuer ce mec » sans le penser au niveau neocortex supérieur. Du reptilien la réaction monte au mammifère, centre des émotions, et cette pulsion de survie y est amplifiée ou freinée par la peur, la pitié, l’amour etc… La colère émotive augmente le désir de vengeance et de haine. mais s’intègre dans le cadre du Rituel où la loi, pour toutes les espèces, est « tu ne tueras pas un individu de la même espèce ». Du reptilien l’influx nerveux est passé au mammifère qui le passe à son tour au neocortex qui va insulter – un rituel de provocation et d’intimidation mélangé – et réfléchir, soit à une stratégie de défense ou d’attaque, soit considérer les conséquences du passage à l’acte. Le comportement final sera le résultat des connexions reptilien-mammifère-supérieur, variable selon les individus.
BI: C’est ce qui se passe en combat?
HP : Oui. En Championnat on en reste généralement au mammifère pur, avec des montées mammifère-supérieur, mais ceux qui gagnent sont ceux qui se placent plus ou moins au niveau reptilien « tueur ». Ce sont les plus agressifs qui gagnent, surtout dans les disciplines dites de « la main », Karaté et similaires, moins dans le Judo et les luttes similaires, comme le Sambo ou la lutte bretonne, car la lutte est le rituel de base de l’animal-homme. Mais en vrai combat de survie tout se passe au niveau du cerveau reptilien, et ce n’est qu’après que le cerveau mammifère reçoit l’influx. Tous ceux qui ont été menacés dans leur vie ont réagis au niveau reptilien, puis lorsque le danger est passé le cerveau mammifère s’est manifesté la sueur est venue, le cœur s’est emballé, et les jambes ont tremblé. Intéressant non ?
BI : Oui, mais où est l’intérêt dans l’enseignement?
HP : Je ne voudrais pas trop perturber mais il me semble que ce doit être dit. Aux époques héroïques, en Asie mais aussi en France, lorsque j’étais pionnier, et aux USA où également vers les années 1949 mon ami Trias était pionnier du Karaté, lorsqu’un débutant arrivait au Dojo on lui demandait d’attaquer les Ceintures Noires comme il le voulait, puis ces Ceintures Noire bloquaient, se défendaient, mais sans attaquer. Ce ‘baptême » était passionnant, les Ceintures Noires remettaient les pieds au sol et avaient souvent des surprises instructives, les débutants avaient confiance dans le Dojo. A la fin de chaque cours, le « Maître » prenait en ligne, l’un après l’autre, tous les membres du Dojo et les battait ou était parfois battu, mais dans ce cas il conservait son prestige… et l’entraînement suivant le membre qui avait battu le professeur avait intérêt à faire attention. C’était viril. C’était martial. Je doute que certains professeurs le fassent, même après avoir lu ces lignes.
BI : Je ne vois pas le rapport avec les trois cerveaux…
HP Tu vois pourquoi il vaut mieux se taire. Il y a trop d’enseignements de base à expliquer, d’erreurs à rectifier, on a l’impression de verser de l’eau dans une cruche trouée. Bon. On continue quand même. Ces baptêmes de débutants et l’affirmation de la supériorité du professeur à la fin de chaque entraînement peut paraître rustique à ceux qui sont incapables de le faire, mais par cette « rusticité » on en restait au niveau du cerveau mammifère, avec parfois du reptilien, jamais au niveau cerveau supérieur. C’était donc du véritable Art Martial. Note qu’en Judo on faisait de même, les anciens du Sommerard en parlaient encore il y a quelques mois dans un repas d’anciens, à la fois bien sympathique et bien pénible. Certains avaient évolué vers le haut, drôles, sereins, de vrais sages, et d’autres avaient évolué vers l’amertume, étaient acerbes, avaient une sorte de mépris pour les jeunes pratiquants, qui n’ont rien d’inférieur aux anciens. Mais passons.
BI : Comment devrait-on enseigner, selon vous?
HP Pas selon moi… le vrai enseignement est connu. Il y a des fois où je me demande s’il n’y a pas mystification dans le sens « Pourquoi faire vite lorsque l’on peut faire lentement ». Car en périodes d’enseignements accélérés, comme en temps de guerre, la formation de jeunes samuraï pour aller au champ de bataille par exemple, en un an on faisait progresser l’individu comme on le fait maintenant en cinq ou dix ans.
BI : Pourquoi?
HP : Parce qu’on inverse les choses. Je t’ai parlé des trois cerveaux. Tu as compris que l’action a sa source dans le cerveau reptilien, pour la survie, ou le cerveau mammifère, pour le Rituel, pour aboutir dans le cerveau supérieur, éventuellement car ce n’est pas nécessaire. C’est même plus nuisible qu’utile. Comme les Arts Martiaux de Dojo avec « Do » sont conventionnels et opposent un individu contre un individu, on est donc en Rituel. Dans l’enseignement « traditionnel » en fait faussement traditionnel – on commence par expliquer à notre cerveau « supérieur » ce que le cerveau « mammifère » ou « reptilien » doit faire. On « comprend » mais on ne peut pas « faire » parce que le cerveau « supérieur », intelligent, qui raisonne, ne peut absolument pas donner d’ordres ni d’indications aux cerveaux du dessous qui, eux, « font ». Le cerveau supérieur peut, avec de l’entraînement, ne pas tenir compte des messages de peur, d’inquiétude, d’émotion, de recherche de plaisir (des 5 sens + sexe), envoyés par le cerveau mammifère et même par le reptilien, mais il ne peut rien leur « enseigner ». Autrement dit, enseigner en expliquant en premier c’est, à coup sûr, ralentir la progression. Après chaque explication, le pratiquant essaie de répéter le mouvement, mais pour l’application il doit sentir et trouver l’opportunité. Autrement dit il doit oublier ce qu’il a appris « intellectuellement ». En fait c’est en regardant les plus avancés et en subissant lui même qu’il apprend. Cette dualité retarde les progrès. L’idéal serait de montrer sans expliquer – ça le cerveau mammifère comprend – puis d’exécuter et de faire exécuter tout de suite en assauts, kumités ou randoris. Il y aurait des « fautes » selon le dogme ou le « canon » de la Discipline ou du Style mais il y aurait du vécu, c’est à dire des expériences répétées dans le temps. Et seul le vécu est engrangé dans la mémoire à long terme. Or, on le sait rarement, la mémoire à long terme est située dans le cerveau mammifère. La mémoire à moyen terme est dans le cerveau supérieur (c’est ainsi que l’on retient et oublie un numéro de téléphone). Et la mémoire à très court terme est située dans le cerveau reptilien. Quelques minutes à quelques heures après, ce dernier a tout oublié… comme un crocodile ou une tortue de mer qui fonctionnent avec seulement un cerveau reptilien.
BI : Donc, lorsque l’on nous enseigne des techniques sophistiquée de « self-défense » contre agression à risque mortel, elle concernent le cerveau supérieur et le cerveau reptilien, pour les explications (souvent oubliées immédiatement ou ne laissant qu’un vague souvenir… inutilisable) et les quelques gestes effectués après ? L’ensemble serait donc oublié quelques heures après?
HP :Tout à fait. Je vois que tu commence à comprendre. Mais, pendant l’entraînement, le pratiquant a l’impression d’apprendre à survivre. Il ne réalise pas qu’après le cours il ne lui restera rien dans les cerveaux qui devraient avoir appris, tout est dans le cerveau « intelligent », une illusion. En fait, on n’apprend jamais vraiment « grand chose ». Du moins pas de la façon dont ont l’imagine. Et ce qu’on apprend en Art Martial ne passe pas du tout par l’entendement et la parole. Pas étonnant qu’en cas d’attaque vraie, un Budoka gradé perde tous ses moyens, comme le premier passant venu. S’il n’a pas été mis KO ou n’a pas été tué, la première réaction « reptilienne » passée, il pourra parfois appliquer ses techniques sophistiquées, mais pas en réaction spontanée. C’est impossible. Elles sont trop élaborées pour les cerveaux primitifs. D’ailleurs Si ces derniers étaient malléables à nos utopies ce serait un désastre. Notre bagage génétique, « animal » est inchangé depuis l’aube de l’homme et se transmet de génération en génération.
BI : On ne va pas entrer dans la métaphysique biologique
HP: Moi je veux bien arrêter tout de suite, mais ce sont des prises de conscience élémentaires…
Interview publiée dans la Revue Budo International de Novembre 1995.
directeur de la publication : Alfredo Tucci


Responsable Édition Française : Brigitte de 





Entrainement en self Il est révélateur que personne ne regarde ou ne commente la structuration temporelle de l’entrainement, notamment parmi les débutants.

Pourtant c’est là un point aussi important que l’aspect technique: Même si vous avez la meilleure technique du monde, si vous ne vous entrainez pas…vous la perdez, même si vous conservez de beaux restes. (Un boxeur qui s’entraine insuffisamment, en général……il perd….même quand il s’appelle Mike Tyson)

De plus alors que la technique martiale utilisée ne peut être discutée que par des experts en self défense ou des connaisseurs en art martiaux (il faut avoir une connaissance minimale pour juger cet aspect), une structure d’entrainement est tout de suite compréhensible et comparable même par un néophyte.
Surtout s’il s’est renseigné sur l’entrainement sportif (VO2 max, fréquence cardiaque, temps de réaction, etc….) et s’il a réfléchi sur les dangers qu’il pouvait courir dans sa vie.

Car s’il n’y a pas anticipation d’un danger….il n’y a pas de self défense. Si tout le monde dans la rue portait une rapière, la répartition de mon entrainement de self défense serait différente. Idem si tout le monde portait un revolver….

Ainsi, avant même la technique, il faut regarder comment on s’entraine sur une durée raisonnable (une année me semble un bon horizon de temps). Cela donne déjà une bonne estimation si l’entrainement correspond au but affiché par la discipline.

Un point fondamental pour choisir (ou pas…..) le Krav Maga est là

En effet, tout le monde peut dire : je fais du Krav Maga, de la self défense ou du tactical-commando-krav (les titres n’étant pas protégés….)

Mais quand, par exemple, 70% du travail consiste à frapper sur un pao (ou sur une cible en mousse) …..Il y a un os. On ne peut pas dire que vous vous préparez à un travail utile sur le terrain. Sinon les bucherons auraient été les meilleurs sabreurs du Japon. (Notamment dans l’école Jigen )

Ainsi, pour comparaison, la répartition temporelle de l’entrainement au Krav Maga, chez moi, est la suivante. Je pense qu’elle est significative pour apprendre la self défense dans notre contexte actel.

Bon an, mal an, mon entrainement est réparti (à peu près) comme suit :

40% Combat au corps à corps (Condition physique, shadow boxing, combat complet, combat contre plusieurs adversaires, lutte au sol, percussion, saisie, projection, enchainement, etc ..)
15% Défense contre couteau (différents angles, différentes hauteurs, différentes distances)
15% Défense contre bâton (différents angles, différentes hauteurs)
15% Défense contre menace au pistolet (différents angles, différentes hauteurs, différentes distances)
15% les restes